Pour une Agence de Résilience Nationale : Dépasser le modèle militaire face aux guerres cognitives du XXIe siècle
Face à l’accélération des crises systémiques – pandémies, cyberattaques, désinformation ciblée et conflits hybrides – la France bute sur un paradoxe mortifère : les outils de défense, conçus pour des menaces tangibles et hiérarchisées, peinent à appréhender la guerre cognitive qui se joue dans l’esprit des citoyens. Cet article plaide pour la création d’une Agence de Résilience Nationale (ARN) civile, transversale et souveraine, capable de dépasser les limites structurelles du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN) tout en collaborant avec lui. Ceci est un article prospectif, inspiré du cas français très similaire au cas marocain ,pour répondre aux enjeux de la guerre hybride.et cognitive.
I. Les limites du modèle actuel : Quand le militaire bute sur l’immatériel
a) Le SGDSN : Un outil précieux mais fragmenté
Le SGDSN, héritier d’une tradition centenaire de coordination politico-militaire 4, assure aujourd’hui des missions vitales :
Animation de la Stratégie Nationale de Résilience (SNR) validée en 2022, structurée autour de 63 actions interministérielles 1.
Coordination des réponses aux crises majeures via son rôle de vigie et son réseau interministériel 7.
Tutelle d’entités spécialisées comme l’ANSSI (cybersécurité) ou VIGINUM (lutte contre les ingérences numériques) 7.
Pourtant, son architecture révèle des failles critiques :
Une logique étatique descendante : La SNR, bien que théoriquement "sociétale", reste pilotée par des cercles gouvernementaux sans intégration réelle des collectivités, entreprises ou citoyens 15.
Une fragmentation des compétences : La résilience économique, sanitaire, cognitive ou écologique éclate entre ministères, sans vision holistique 5.
b) Le blind spot militaire : La guerre cognitive, impensée des vieilles gardes
L’armée française a prouvé sa valeur opérationnelle lors de crises récentes (Opération Résilience durant la COVID-19 2, Sentinelle). Mais sa culture profonde l’empêche d’appréhender la bataille cognitive :
Culture du secret vs transparence démocratique : Les militaires traditionnels privilégient la confidentialité, incompatible avec la lutte proactive contre la désinformation, qui exige rapidité et pédagogie publique 914.
Focus état-militaire vs société ouverte : Pour nombre d’officiers formés au XXe siècle, le "champ de bataille" reste un espace physique contrôlé par l’État. Or, les guerres cognitives se jouent sur les réseaux sociaux, dans les médias, les universités – des zones sans frontières où l’ennemi est diffus 14.
Résistance au décloisonnement : Comme le note Jean-Tristan Verna, les armées peinent à intégrer des expertises externes (psychologues, anthropologues, data scientists) par réflexe corporatiste 9.
Un constat s’impose : Le SGDSN et les armées sont indispensables pour la "résistance" physique, mais inadaptés au "rebond" sociétal des crises modernes.
II. L’Agence de Résilience Nationale (ARN) : Architecte civil du rebond sociétal
Face à ces limites, l’ARN ne serait pas un énième organisme bureaucratique, mais un accélérateur de résilience sociétale fondé sur quatre piliers :
a) Une gouvernance hybride : État-société civile
Collège décisionnel pluraliste : Intégrant préfets, maires, chefs d’entreprise, chercheurs, représentants associatifs et psychologues sociaux – dépassant ainsi le monopole étatique du SGDSN 5.
Droit de saisine élargi : Permettant à une région, une université ou un média de déclencher des alertes résilience (ex : détection précoce de campagnes de désinformation).
b) Un mandat centré sur les vulnérabilitas cognitives et systémiques
L’ARN comblerait les angles morts du SGDSN :
Menace | Réponse SGDSN | Réponse ARN |
---|---|---|
Désinformation étrangère | VIGINUM (détection technique) | Laboratoires de contre-narratives citoyennes |
Fracture sociale | Planification étatique | Alliances locales (entreprises/associations) |
Panique en crise | Communication verticale | Réseaux d’influenceurs locaux |
c) Un bras armé civil : Les Réserves de Résilience
Inspirée des réservistes militaires mais élargie 13 :
Volontaires formés aux premiers secours psychologiques, à la vérification des faits, ou à la régulation des réseaux sociaux.
Déclenchables par les préfets sans attendre l’épuisement des moyens civils – contrairement à l’armée (règle des "4 i" : indisponible, inadapté, inexistant, insuffisant 2).
III. Guerre cognitive : Pourquoi l’ARN peut réussir où le militaire échoue
La bataille décisive du XXIe siècle se gagnera ou se perdra dans l’esprit des citoyens. Exemples :
COVID-19 : L’Opération Résilience a déployé des hôpitaux de campagne (efficace), mais n’a pas enrayé la défiance vaccinale – faute de légitimité perçue des militaires sur les questions sanitaires 25.
Guerres hybrides : Une cyberattaque contre un hôpital (type ransomware) devient une arme cognitive si elle alimente le récit "L’État vous abandonne".
L’ARN apporterait une réponse adaptée :
Agilité narrative : Contrairement aux armées, elle pourrait mobiliser des influenceurs locaux, des médecins de ville, ou des chefs d’entreprise pour relayer des messages crédibles, sans uniforme qui effraie 14.
Capital de confiance civil : Son indépendance affichée vis-à-vis de l’État la rendrait moins vulnérable aux accusations d’"opération de communication".
Architecture en réseau : Des cellules régionales intégreraient les spécificités culturelles locales – indispensable pour contrer les discours communautaristes 14.
"La résilience concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile tout entière" (Livre Blanc Défense 2008 5).
IV. Collaboration ARN-SGDSN : Le duo gagnant
L’ARN ne remplacerait pas le SGDSN, mais en serait le pendant civil :
SGDSN : Reste chef d’orchestre des crises militarisées (attentats, catastrophes majeures).
ARN : Devient pilote des crises sociétales (désinformation, fractures sociales, résilience écologique).
Mécanismes de synergie :
Cellule conjointe de veille cognitive : Croisant données de VIGINUM (SGDSN) et remontées terrains de l’ARN.
Exercices communs : Simulations de crises hybrides intégrant désinformation + attaques physiques.
Formation croisée : Officiers du SGDSN immergés dans les réseaux sociaux ; cadres de l’ARN formés aux plans de secours étatiques.
Conclusion : Le sursaut ou le chaos
La création d’une Agence de Résilience Nationale ou d'un haut comité n’est pas un luxe bureaucratique, mais une condition de survie démocratique. Dans un monde où la désinformation tue aussi sûrement qu’une bombe, où le lien social se fissure sous les coups des algorithmes, confier la résilience aux seuls militaires revient à vouloir soigner une dépression avec un bistouri. L’ARN incarnerait cette vérité oubliée :
"La volonté et la capacité d’un pays à résister [...] concernent non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile tout entière" (Livre Blanc 2008 5).
Il est temps de donner aux démocraties l’outil civil qui lui manque pour gagner la guerre sans frontières du XXIe siècle. Les états majeurs et les hauts comité de défense gagnerait en efficacité ; les armées en légitimité ; et les citoyens – enfin – en capacité d’action.
Liste des 14 Références (Ordre d'Apparition dans l'Article)
Stratégie Nationale de Résilience (SNR 2022)
SGDSN – Lien (Introduction + Partie I-a)
Mission du SGDSN (coordination interministérielle)
*Décret n°2017-1050 du 10 mai 2017* (Partie I-a)
ANSSI (cybersécurité)
*Loi n°2013-1168 du 18 décembre 2013* (Partie I-a)
VIGINUM (ingérences numériques)
*Décret n°2021-435 du 13 avril 2021* (Partie I-a)
Critique de la gouvernance descendante
Rapport du Sénat "Résilience et continuité de l’État" (2021, n°654) (Partie I-a)
Opération Résilience (COVID-19)
Ministère des Armées – Bilan 2020 (Partie I-b)
Culture du secret militaire
IRSEM, "Guerre cognitive : enjeux pour les armées" (2022) (Partie I-b)
Jean-Tristan Verna sur le décloisonnement
Revue Défense Nationale (n°853, 2023) (Partie I-b)
Modèle des Réserves Civiles
*Loi n°2017-258 du 28 février 2017* (Partie II-c)
Règle des "4 i" (engagement militaire)
*Code de la Défense (Art. L.1111-2)* (Partie II-c)
Défiance vaccinale et légitimité militaire
Sondage Odoxa pour Le Figaro (septembre 2021) (Partie III)
Livre Blanc Défense 2008
Ministère de la Défense (p.57, édition originale) (Conclusion)
CISA (modèle américain)
Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (cisa.gov) (Contexte ARN)
Guerres hybrides (UE)
Rapport SEAE "Désinformation et résilience démocratique" (2021) (Contexte international)
Pour aller plus loin :
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